Quelques
articles que ABI a mis de coté pour nous tous !:) |
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Télérama mai 96 ( Arraché des ténèbres ) Télérama mai 96 ( Coucou le revoilou ) Télérama décembre 97 (Fou-ouh de vous-ou-ou-ouh)
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Télérama N°2503 - 31 déc.1997 :
Foldingue. Il a tout fait, tout chanté, avant tout le monde. Réédition des premiers tubes ou provocateur magnifique, et petite larme nostalgique.
« FOU-ouh de vous-ou-ou-ouh »
Pas de doute, ce type a un grain. De gorge, d’abord. Une voix de tête, comme on dit, dotée d’au moins trois octaves funambules et d’un yodle vertigineux. Souvenez-vous : quand il hululait « Je suis fou-ouh de vous-ou-ouh… », on aurait dit le frère caché de Tarzan imitant le cri du coyote amoureux.
Le style vocal de Polnareff, c’est tout dans l’inflexion alpine, la grimpe syllabique, la tierce en varappe, tout là-haut, sans filet. Demandez à Goldman ou Obispo, ça fait des lustres qu’ils s’entraînent, mais avec un piolet.
Doté d’un pareil gosier, notre frêle Michel aurait pu ne séduire que les midinettes et les ménagères. Pourtant, même les plus farouches rockers ont succombé à ses trilles de rossignol excentrique. C’est qu’il savait être notre porte-parole, Polnareff. Des poupées qui faisaient non, par exemple, on ne croisait que ça, à l’école ou dans les boums. Mais s’il est des mots qu’on ne doit pas dire comme ça à une jeune fille, lui, le malin, les chantait pour nous. Six mois avant le Let’s spend the night together des Rolling Stones, voilà qu’un freluquet bigleux aux épaules étroites articulait posément et distinctement la formule magique, le sésame rougissant, la requête taraudante et inavouée : « J’aimerais simplement faire l’amour avec toi. » Notez le « simplement », tout est dans la nuance retorse. A l’époque, juin 1966, la chanson fut interdite sur les ondes de l’ORTF avant 22 heures. Nous, on s’en fichait, on écoutait Salut les copains. Jolie voix, belles mélodies, Michel Polnareff aurait pu devenir un de ces crooners gentiment bêtas qui ont toujours enchanté l’Hexagone, de Tino Rossi à Florent Pagny. Qu’est-ce qui a bien pu transformer cet ex-petit surdoué du solfège - premier prix de conservatoire de piano-, fils d’une danseuse et d’un musicien d’origine russe (son père, sous le pseudonyme de Léo Poll, a écrit des chansons pour Piaf et Montand), en scandaleux agitateur des bonnes mœurs de la chanson française ? L’autre grain, justement. Appelez ça folie ou génie, dans son cas, c’est la même chose.
Outre son imposant bagage musical, Michel Polnareff fut l’un des premiers artistes de chez nous à comprendre l’importance de l’image dans une carrière. Le look, si vous voulez. Prenez le Yves Duteil d’ici il y a vingt ans, rien n’a changé aujourd’hui, à part la mairie et l’embonpoint. Polnareff, lui, à l’instar d’un David Bowie, n’a cessé d’interpréter des personnages. Parti beatnik de Montmartre, coiffé à la Françoise Sagan, il est devenu tour à tour petit Lord Fauntleroy au pull shetland ras-le-nombril, hippie décadent moulé dans des pattes d’ef satinées, androgyne torse nu sous la fourrure, ou jogger bodybuildé en débardeur pailleté.
Paulo le pâlot devenu Michou le bronzé s’est toujours ingénié à faire la pige aux idoles du rock’n roll : des bésicles plus foldingues que celles d’Elton John, un brushing plus soigné que celui de Rod Stewart, des biscotos plus saillants que ceux de Mick Jagger. Jusqu’à sa toute dernière apparition, déguisé en vieil explorateur androïde, mélange de baba techno et de SDF milliardaire.
Musicalement, c’est pareil. Plutôt que de puiser dans le patrimoine national, Michel le rebelle a immédiatement louché outre-Manche et outre-Atlantique : les Beatles, bien sûr, pour le classicisme pop ouvragé, mais aussi pour les Yardbirds et Led Zeppelin pour la rusticité rauque, les Moody Blues ou Procol Harum pour la gadgétisation symphonique. On peut citer aussi les Platters et les Beach Boys pour les harmonies vocales, et les comédies musicales de Gershwin ou de Porter pour les découpages rythmiques. Sans oublier Chopin, bien sûr, dont il fut abreuvé à la chopine dès sa plus tendre enfance. .
Mais un tel boulimique avaleur de gammes ne pouvait se contenter de pareille pitance. A réécouter ses premiers enregistrements, qui couvrent grosso modo la période 1996 à 1970, on découvre avec ébahissement qu’il a picoré dans tous les plats, même les plus saugrenus : le rock psychédélique ( Ne me marchez pas sur les pieds, You’ll be on my mind), le rock-folk ( Sous quelle étoile suis-je né ?, L’Oiseau de nuit),le rag-time ( Ballade pour un puceau), le square dance ( Femme que j’aime), mais aussi le rap avant l’heure ( Hey you woman) et…le sirtaki ( Georgina). Dans la vie comme en musique, Michel Polnareff est un ermite nomade et un monomaniaque polymorphe. Quittant un foyer douillettement bourgeois pour aller faire la manche sur les escaliers du Sacré-Cœur, expulsé de son appartement de Neuilly pour avoir « roulé à motocyclette dans le salon » (sic), émigré à Los Angeles pour cause de bisbilles avec le fisc ou enterré des mois dans la suite d’un palace parisien, l’homme resurgit chaque fois avec la même candeur mégalomane. Ses chansons, aux paroliers inégaux
( Delanoë, Dabadie, Gérald and co), le présentent à la fois en amoureux transi ( Love me, please love me) et en obsédé sexuel ( L’Amour avec toi), en trouvère moyenâgeux ( Le Bal des Laze) et en chantre contestataire ( L’Oiseau de nuit), en macho bravache ( Je suis un homme) et en comique troupier ( Y a qu’un ch’veu).
Mais l’homme qui montrait son cul sur les affiches exhibe surtout son cœur à travers ses ritournelles. Provocateur pudique, âme câline et roi des fourmis, dandy michetonneur et clodo troubadour, Michel Polnareff a déjà gagné une place au panthéon des enfants terribles de la romance d’ici. Surtout que, grâce à lui, on ira tous au Paradis.
Philippe Barbot.