Quelques articles que ABI a mis de coté pour
 nous tous !:)

Télérama mai 96 ( Arraché des ténèbres )
Télérama mai 96 ( Coucou le revoilou )
Télérama décembre 97 (Fou-ouh de vous-ou-ou-ouh)

 

 

Sommaire

 
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Michel Polnareff Live at the Roxy

Grand album, grand retour saisi sur le vif d’un unique concert. La voix de Polnareff semble avoir gagné en puissance, en moelleux, en expressivité. Relief du son et raffinement du mixage mettant en valeur sa connivence avec les juteux musiciens qui entourent son chant et ses claviers : Dick Smith, le guitariste d’Earth Wind and Fire ; Sam Sims, dont on a entendu la basse aux côtés de Paula Abdul et Janet Jackson, et le batteur de Gino Vannelli. Ainsi que le percussionniste de feu Weather Report, Alex Acuna, soulignant après coup, en studio, la succulente tonalité reggae de Tout, tout pour ma chérie…

Reggae, country, funk, rock, ballades acoustiques au piano solo ; la diversité des couleurs, la pugnacité des rythmiques redonnent une énergique jouvence aux chansons revisitées ici. A l’exception de Tam-tam, qui figurait dans l’album Bulles (1981), de Dans la rue ( Incognito, 1985), de Goodbye Marilou (Kama-Sutra, 1990) et de l’inédit instrumental, elles appartiennent à la première période Polnareff. Oniriques et élégantes, sensuelles et nerveuses, elles nous font redécouvrir l’un des tout meilleurs mélodistes français. En réservant sa soirée au Roxy, « On ira tous au Paradis ! »

  A-M. P.

Télérama, 8 mai 96 : le jeu du jour cherchez l’erreur dans cet article…(…étonnant de la part de Télérama !!! )

Oubliées, la soûlographie et les bisbilles avec le fisc. A Los Angeles, le chanteur aux lunettes emblématiques est reparti de zéro.

ARRACHE DES TENEBRES

Beverly Hills, Los Angeles, un jour de printemps qui ressemble à l’été. A la clarté solaire qui baigne l’avenue succède la pénombre de ce club de fumeurs de cigare, très privé et très prisé par Robert DeNiro, Arnold Schwarzenegger et Mel Gibson. Michel Polnareff, assis au bar, pianote sur son téléphone portable - qui sonnera souvent dans les heures qui viennent. Portrait en pied : grosses godasses de pompier américain, battle-dress réformé (« il a fait la guerre du golfe »), gilet de photographe multi-poches bourré de gadgets électroniques (« j’adore ça, je ne peux pas vivre sans ces jouets »), cravate ornée d’un nu de Modigliani (« mais je préfère la peinture hyperréaliste »). Le visage est mangé par les célèbres lunettes de soleil à monture blanche, et par les longs cheveux d’un blond décoloré.

A cause de cette chevelure peut-être, peut-être aussi d’un léger flou dû au décalage horaire, au cigare offert par Polnareff (lui ne fume plus) et au champagne siroté de concert avec lui, on finit par le voir triple. En gros, un mélange de Léonard de Vinci branché sur l’Internet, de Robinson Crusoë sauvé des eaux-de-feu, de Merlin l’Enchanteur qui coucherait ses sortilèges sur des partitions.

En gros, Lui, ne l’est plus. Il s’est repris depuis ce qu’il nomme son époque « bleu foncé » : claquemuré dans un palace parisien, il ne sortait alors de sa suite que pour s’accrocher au bar. Puis il est entré dans une clinique de banlieue où le show-biz a coutume de se refaire une santé. Un magazine à sensation l’y a débusqué. Ses photos en ermite hirsute et bouffi, l’ont d’abord fait vomir. Puis l’ont galvanisé : le concert au Roxy, salle réputée de Sunset Bvd, il l’a donné en septembre 1995, neuf mois après ce reportage-naufrage. Un album, superbe, en témoigne, qui sort en France à la fin du mois.

« C’était moins un retour qu’un match-exhibition. J’adore la boxe. J’aurais rêvé être un champion poids lourd, mais je n’ai pas franchement la carrure, hein ! La sensibilité des athlètes et des musiciens est exactement la même : on a peur de ne pas être à la hauteur de notre propre attente. Là, j’ai remis les gants. Sans savoir si je savais encore chanter. Il y avait longtemps que je n’avais pas mis les pieds sur une scène. En montant, je me disais : est-ce que c’est toujours là, est-ce que ça marche encore ? Les mêmes questions que je m’étais posées sur ma libido, au sortir de ma période alcoolo-monacale… »

Cet enfermement physique et mental, il s’y était réfugié après le diagnostic médical : ses héréditaires problèmes de vue s’aggravent, la cécité devient inéluctable, à moins d’une opération.

« Du courage pour ma peur », chantait-il naguère…

« Refrain visionnaire, c’est le cas de le dire ! Je n’ai jamais été terrifié à ce point-là. Orange mécanique vécu de l’intérieur…Sur la table d’opération, on m’a donné un Walkman, d’abord avec des chansons de moi : j’avais envie de tout remixer, j’ai demandé qu’on me remplace par Wagner ! L’humour, dans ces moments-là, ça aide…Le mien m’a quitté quelques heures plus tard, quand la vue est revenue. J’ai cru crever. Découvrir des couleurs qu’on n’a jamais connues, les nuances de bleu d’un ciel jusque-là gris, c’est violent. Tout est à l’envers, plus rien n’est pareil. Dans ma chambre d’hôpital, je marchais comme le premier homme sur la lune…L’anesthésiste a compris ma panique, elle s’est mise à rire : « Vous êtes tout simplement en train de dire au revoir au monde des bigleux ! » Cette phrase m’a beaucoup aidé à traverser ce drôle de deuil. »

Pendant quelque temps encore, Polnareff a monté les escaliers comme s’il escaladait l’Himalaya. Pendant quelque temps encore, il a beaucoup bu.

« Pour fêter ça. L’alcool était redevenu le complice du plaisir, après avoir été celui de la lâcheté. Je le tiens très bien, malheureusement ! Ca doit être mon sang russe ! »

Polnareff est russe par son père, pianiste et compositeur (collaborateur de Piaf et des Compagnons de la chanson, il a notamment signé la complainte lancinante du Galérien) ; breton par sa mère, danseuse. L’une aimait Gershwin et Cole Porter ; l’autre Mozart, Liszt , Chopin, Debussy.

« Si je devais vivre sur une île déserte, je choisirais aujourd’hui encore Les Quatre Saisons de Vivaldi, et Shéhérazade , de Rimski-Korsakov. » En souvenir, sans doute, de cette enfance très musicale…

« Très difficile, aussi. Je m’entendais bien avec ma mère, beaucoup moins avec mon père. Il voulait que je sois le meilleur, intellectuellement. J’étais une bête de travail, que faire d’autre ? Je n’avais pas le droit de faire du sport, pas davantage de jouer avec les mômes de la rue. »

Après un précoce Premier Prix de piano au conservatoire, et des réorchestrations jazz de classiques qui font jaser, Michel quitte les cours et la maison, pour s’installer sur les marches de Montmartre avec une guitare.

Les trois accords qu’il en tire feront la trame de son premier succès, La poupée qui fait non, en 1966. S’ensuivent sept ans de bonheur professionnel. Polnareff se révèle un alchimiste de génie, mêlant en mélodies irrésistibles et inimitables ( * lire ma remarque perso en fin d’article !! J )

) réminiscences classiques, rock californien, pop-soul et jazz. D’autre, d’abord, écrivent pour lui, tel Jean-Loup Dabadie pour les Holidays de rêve ; il cosigne avec Pierre Delanoë un Bal des Lazes qui ne quittera plus les mémoires, dédie à celle de Lucien Morisse Qui a tué grand-maman, met en émoi les âmes câlines, fait scandale, une première fois, avec L’Amour avec toi… « Je me sentais à la fois manipulé et débordé », dit-il aujourd’hui pour résumer ces années d’or.

Deux autres scandales y mettent fin en 1973 : une affiche pour l’Olympia, où il montre le bas ; une accusation de fraude fiscale. Le fisc reconnaîtra quinze ans plus tard sa bonne foi et la responsabilité de son homme de confiance, qui s’est volatilisé avec la fortune du chanteur. On n’a jamais retrouvé sa trace. « Je ne sais pas s’il est vivant ou mort, pour moi, il est mort. »

Professionnellement, Polnareff ne va pas tarder à ressusciter : il signe aux Etats-Unis un contrat avec la firme Atlantic, qui compte dans son écurie de prestigieux rockers et bluesmen. Quatre albums y seront publiés, dont la bande originale du film Lipstick, qui lui vaut un début de notoriété américaine, et Coucou me revoilou : « Ce qu’il a de mieux, celui-là, c’est son titre ! Je lui préfère Bulles, cru 81. Le public français aussi, visiblement, puisqu’il en a acheté pas loin de un million d’exemplaires… Un autre de mes préférés, c’est Incognito, sorti quatre ans plus tard. Incognito, il l’est resté, d’ailleurs. A part la chanson Dans la rue… »

C’est un des rares titres de sa deuxième vie repris dans ce « juke-box », comme il dit. Pour l’essentiel, et ses admirateurs s’en réjouiront, il a puisé dans les inépuisables années 60-70 ; et glissé, en clin d’œil, un instrumental inédit, appelé Lee Neddy. Polnareff a une passion pour les jeux de mots vaseux, qui ne le cède qu’à son goût pour les histoires cochonnes. Il nous en a conté quelques-unes

( malheureusement, je ne peux vous les dire, et c’est regrettable…) puis conviés à la dernière écoute avant gravure de son Live. Enthousiasmant de vitalité.

A la sortie du studio, sur le chemin du restaurant provençal où nous finirons la journée, Polnareff évoque ses projets ; un second show à Los Angeles, un concert en France, un album studio, un site sur Internet (« La chanson n’est qu’un moyen de communication parmi d’autres »)…En écho, on se remémore ses réflexions sur l’angoisse, paralysante ou dynamisante, dont le tempo scanda sa vie.

« L’angoisse est une bonne compagne, c’est là le danger. Si je suis venu à Los Angeles, c’est pour pouvoir continuer à travailler, mais aussi parce qu’ici rien ne me la rappelle. Quand un grain de sable s’introduit dans une huître, elle l’enrobe de nacre pour s’en protéger. Ma création a longtemps joué le même rôle, enrobé l’angoisse. Maintenant, je reste acerbe pendant un enregistrement, mais je ne me roule pas par terre en me tenant le plexus…Que je compose, ou que je joue au billard sans lunettes, chaque jour est une victoire.

Anne-Marie Paquotte.

( * )  J’entends d’ici ‘ l’Ersatz - Obispo ’ grincer des dents !!! )