Gala numéro 586 - septembre 2004 - les photos du magazine sont tirées du "Photos Collectors" de Fabien Lecoeuvre -
En attendant Polna

Pendant des années , toute une génération a attendu en vain le moment où les Beatles allaient se reformer. Pour Michel Polnareff, l'artiste porté disparu, c'est un peu la même chose. Voilà un chanteur qui s'est auto-dissout il y a plus de vingt ans et dont on attend toujours qu'il se reconstitue. Jamais vraiment là,jamais aussi présent. Remixées cent fois compi­lées dix mille fois ses chan­sons flottent toujours dans l'air du temps. Jamais démo­dées, toujours en avance. Il y a du Rimbaud, autre génial exilé, chez lui. Son œuvre, même limitée dans le temps est une fulgurance. Depuis on suit les avatars du person­nage. Lui, qui nous avait pro­mis qu'on irait tous au paradis est devenu un résident des limbes avec autorisation de sortie. Hier au fond du trou, barbu et reclus aux allures de clochard céleste. Aujourd'hui bodybuildé, adepte du naturisme en Cali­fornie. Entre lui et nous c'est un jeu de dupes. Même si l'on sait qu'il a déjà tout écrit, on espère toujours la sublime note finale ...

Loïc Sellin Rédacteur en chef adjoint de Gala

Mais où était-il donc passé? Depuis le temps qu'il était aux abonnés absents, ses fans avaient fini par croire que la plus hallucinée des rock -stars françaises était partie chez les extraterrestres.

Ils étaient loin du compte ... Depuis huit ans, leur idole mène une existence sans histoire à Palm Désert, une petite ville cossue de la banlieue de Los Angeles. Loin du show-biz, de la pollution et de cette comédie qui le fatigue plus qu'elle ne l'amuse.

A soixante ans, Michel sait le style de vie qui lui convient le mieux. La méthode du « Polnareff nouveau» est simple. Il ne fume pas, il ne boit pas une goutte d'alcool. La nuit, il surfe sur Internet. Et dans la journée, il se lève tard, file à sa salle de gym, déjeune léger, (dé)compose ses chansons ...
Les rares fois où il sort, il va au cinéma puis dîne dans ses restaurants préférés, mexicains, japonais ou coréens. Le reste du temps, Polnareff vit en ermite ... C'est sans doute la raison pour laquelle l'ange déchu (il porte encore les cheveux longs, déco­lorés) aime aller seul dans le désert. Il lâche:« Cela me permet d'avoir une vue élargie sur le monde. »

Mystique, Polnareff ? Désabusé? Au contraire, la pop-star ne s'est peut-être jamais mieux portée qu'actuellement. Il vit dans une maison discrète mais spacieuse, style années trente. Décorée dans un esprit pop, avec des piles de livres et de disques qui colonisent chaque pièce - Michel est fan de musique classique.

Il y a aussi un grand jardin avec piscine où le chanteur aime prendre des bains de soleil. A poil. Lui qui pense que « le corps de l'homme est un élément essentiel» affiche un physique d'enfer et des abdominaux en béton.
 Depuis deux ans, il vit aussi une belle histoire d'amour avec Daniela, une sublime métisse, rencontrée sur un casting. Elle a vingt ans, elle est mannequin, ils s'aiment à la folie. A mille lieues de sa réputation de génie excentrique, voire de barge pur et simple, Polnareff a trouvé son paradis.

Il n'en oublie pas pour autant la France où il revient parfois, toujours incognito. Il se réjouit de l'aura qui est encore la sienne dans l'Hexagone, malgré des années d'absence et de silence radio. Même s'il regarde d'un œil un peu agacé les marchands du temple qui utilisent son image.

« Quand Pascal Obispo reprend sept chansons de Polnareff dans son tour de chant sans même lui demander l'autorisation, ce n'est plus un hommage, c'est un pillage », dit Fabien Lecœuvre*, qui gère désormais la communication de l'idole.

Mais Polnareff n'en est plus à un paradoxe près. Il est le seul monstre sacré qui a su faire de la fuite un atout. Et même s'il a disparu depuis des années, même si ses derniers come-back ont été des échecs, même si son génie semble tari, le chanteur reste la référence de la variété française. Pour les puristes, il est une comète qui a illuminé et révolutionné la musique avant de s'éteindre. Pour tous les autres, il reste un mythe. Ni plus ni moins.

Sans doute parce que le destin de ce fils d'émigré juif russe le prédisposait à devenir le porte-parole de la génération de Mai 68. Enfant de la balle, Polnareff grandit dans le quartier de la Bastille entre une mère danseuse et un père musicien - Léo PolI a dirigé un orchestre de jazz et écrit des chansons pour Edith Piaf et Yves Montand. Il est un adolescent malingre, myope, effacé. Il avoue:

« Je n'avais aucune fantaisie, aucune passion, sinon celle d'être un fort en thème. »

Au conservatoire de musique de la rue de Londres à Paris, Polnareff a déjà tout d'un crack. A onze ans, il obtient une première médaille dans la matière la plus noble: le solfège. Malgré son apparente docilité, Michel n'a pourtant rien d'un singe savant. En 1957, il est envoyé en Angleterre, à Bourne­mouth, dans une famille de pêcheurs. Plus que la langue de Shakespeare, il découvre le rock and roll d'Elvis Presley, Bill Haley, Little Richard. Révélation ... sa vie bascule.

En quelques années, le fort en thème se métamorphose en médiocre qui échoue au baccalauréat. L'enfant docile, en rebelle déterminé à em­brasser la carrière de chanteur contre l'avis de ses parents. En 1963, après un concert de Ray Charles à l'Olympia, Polnareff achète une guitare. Il compose sa première chanson, La poupée qui fait non, et quitte dans la foulée le domicile familial pour les marches du Sacré-Cœur.

Comme tous les beatniks, il se souvient: «Je vivais de musique, d'amour et d'eau fraîche. »

Il connaîtra bientôt l'argent qui coule à flots et les excès en tout genre ... Polnareff a trop de talent pour squatter longtemps place du Tertre. En 1966, La poupée qui fait non est un tube. Sur sa lancée, l'artiste décroche deux autres immenses succès avec Love me, please love me et L'amour avec toi. Fait exceptionnel dans l'industrie du disque de l'époque, un artiste inconnu du public écoule un demi-million de rondelles de vinyle en six mois.

Polnareff impose un style: textes provocants, mélodies sublimes, manière de travailler unique - ses phrasés sont fonction de sa musique et son être n'est qu'une immense caisse de résonance du monde qui l'entoure. Polnareff a l'extravagance des plus grands. Lorsqu'il enregistre Le bal des Laze -le classique des sixties dans la plus pure tradition de la pop anglaise -,il recouvre les murs du studio d'un linceul noir et éparpille des bougies qui distillent une lumière blafarde. Son nom brille hors des frontières françaises: le chanteur se voit déjà vedette aux Etats-Unis, ce pays qui le fascine tant.

Mais si l'artiste a la grâce, l'homme accuse le coup. Début 1971, le chanteur craque, il est admis dans un hôpital psychiatrique.

La cure de repos durera presque un an. A vingt -sept ans, ce jeune homme connaît sa première remise en question. Et confesse: « Je suis un nerveux, un impulsif, un maniaque. Une chanson est pour moi le début de l'angoisse jusqu'à ce que la dernière note soit parfaite. » Mais Polnareff aime trop la musique pour vivre en retraité. Avec son nouveau look -lunettes blanches signées Pierre Marly et corps de karatéka -, il se lance, en 1972, dans ce qui reste­ra sa réussite la plus géniale: sa tournée baptisée Polnarévolution. Un total show basé sur la poésie, l'absurde et le rêve.

Il n'a pourtant jamais été aussi proche du gouffre. A trop en faire, Polnareff s'est mis beaucoup de monde à dos. On le juge arrogant, mégalomane. Lui-même alterne provocations et rodomontades. Les femmes? Elles l'ont rendu misogyne. Il lâche : « Elles ne sont pas capables de tenir les promesses qu'on met en elles. » La France? « Un désert, sans aucun musicien valable », où il se sent «un peu le roi du village ». Polnareff bombe le torse. Les autorités s'ap­prêtent à lui faire courber l'échine. La justice le condamne à payer 60 000 francs pour atteinte à la pudeur avec l'affiche Polnarévolution où il exhibe ses fesses. Et le fisc le somme à son tour de s'acquitter de plus d'un million d'arriérés d'impôts.

En 1973, Polnareff s'exile aux Etats­Unis. Mais les States ne sont pas la terre promise qu'il imaginait. Cinq ans plus tard, c'est une vedette profil bas qui est de retour - il vivra dès lors entre les deux pays. « Plus jamais je ne céderai aux effets secondaires du vedettariat, s'excuse-t-il. Il faut avoir le courage de se taire quand on n'a rien à dire et accepter d'être remis en question à chaque disque. )) Les siens ne seront plus que des demi-succès.
Et Polnareff connaît sa véritable saison en enfer. Elle durera près de deux ans. En sep­tembre 1989, le chanteur emménage dans une suite du Royal Monceau, où il fait installer un studio d'enregistrement. Michel y vit cloîtré. Obsédé par l'idée que son opération aux yeux peut échouer, il noie son angoisse dans la vodka et les filles de joie. Longue barbe, cheveux hirsutes, Polnareff n'est que l'ombre de lui-même. En 1995, après un dernier concert aux Etats-Unis, il tire sa révérence. Depuis cinq ans, la star vit murée dans le silence. Même s'il jure toujours que son come-back est proche ...

 

Laurent Del Bono

*Michel Polnareff, Les photos collectors racontées par Fabien Lecœuvre. éd.

Ramsay.Vade Retro. Son autobiographie sera publiée le 22 novembre chez Grasset

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