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PAROLES et MUSIQUE, nov.86 

 
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 EXCLUSIF POLNAREFF

Ce n’est pas encore le retour de l’enfant prodige ; mais cela commence à y ressembler fichtrement : Michel Polnareff, que l’on croyait perdu et « joggant » à perpétuité sur le sable blanc des plages de Californie, l’oiseau de nuit scandaleux qui exhibait son cul en quadrichromies géantes sur les murs de nos boulevards et (foudres de la censure) se voyait condamné, pour outrage aux bonnes mœurs, au moment même où son secrétaire véreux fichait le camp avec la caisse ; l’exilé transi, enfin, qui depuis son pays de pamplemousses envoyait à l’ingrate patrie des chansons d’amour dégoulinantes de nostalgie et de repentir, prépare une série de spectacles à Paris…

A vrai dire, il y a belle lurette que la marâtre a pardonné au polisson, et que l’idylle est renouée. Et Bulles, l’avant-dernier album du chanteur a fait un tabac, à la sortie, que le million d’exemplaires vendus ne fut manqué que de fort peu ; Ce qui a quand même dû renflouer un peu la fameuse caisse qui s’était fait la malle. De passage pour 48 heures dans la capitale, Michel Polnareff a rencontré Paroles et Musiques pour une interview exclusive.

PAROLES ET MUSIQUE 
Vous voici, peu ou prou, arrivé au bout de vingt ans de carrière. Pouvez-vous nous en situer ce qui reste, pour vous, les phares et les points les plus importants ?

MICHEL POLNAREFF 
-
Un rythme excessivement lent de sortie de disques : parce que je suis quelqu’un de très paresseux et qui pense que la vie personnelle doit passer avant la vie publique. Ce qui fait que je n’ai jamais beaucoup travaillé..

Mais vous savez, je suis quelqu’un qui n’aime pas beaucoup le passé. Je préfère parler du futur. Le passé on ne peut plus y toucher, on ne peut rien en faire ; alors que le futur, on peut avoir au moins l’impression de le diriger. Et je crois qu’il va encore y avoir des choses qui vont étonner, dans l’avenir ; car, pour être franc, je ne pense pas avoir déjà tout dit, ni tout fait.

-Parlons-en, justement. Qu’avez-vous fait pendant tout ce temps hors de France ?

-Je me suis reconstruit mentalement et physiquement. J’avais besoin de mettre des muscles entre moi et le monde extérieur. J’avais un problème physique, car j’étais fluet et constamment agressé ; alors j’ai fait beaucoup de sport ; du squash, du karaté, etc.

-N’avez-vous pas essayé de recommencer là-bas votre carrière musicale ?

- J’ai sorti un premier disque chez Atlantic Records, avec une chanson, « Jesus for tonight », qui est arrivé 35 ème dans le Bilboard. Et puis j’ai eu des problèmes avec les ligues religieuses, car ça disait : « je ne sais pas changer l’eau en vin, je ne sais pas marcher sur les eaux ; mais je voudrais être ton Jésus pour cette nuit… » Cela a été un tollé !

J’ai également composé la musique pour Lipstick. C’était instrumental et ça a fini numéro un disco. Mais j’avais découvert le bonheur de pouvoir ma balader tranquille dans la rue, et d’entrer dans les magasins sans qu’on m’aborde : ce qui fait que je n’ai plus vraiment eu envie de devenir célèbre aux États-Unis. Maintenant, comme je sens de plus en plus qu’il y a une espèce de doute à ce sujet, et que je ne voudrais pas que l’on croie que je n’ai pas réussi là-bas ; je me penche de plus en plus sur l’éventualité d’une carrière américaine. Mais ce qui aurait été, au départ, une réussite contre la France, partira maintenant d’ici. C’est mieux, car je n’ai jamais aimé les choses négatives.

-Vous parliez, à l’instant, de « problèmes physiques » et, en fait, l’une des premières choses qui vient à l’esprit des gens, lorsqu’on dit Polnareff, c’est un physique : un look.

-Je sais que c’est un mot très à la mode ; mais il est impropre en ce qui me concerne. Moi, j’appelle ça : « moi ». Je suis comme ça. Par exemple, j’ai habité pendant trois ans le désert de Californie et, quand je me regardais dans la glace, j’étais comme ça. J’étais tout seul, je ne voyais personne…Ca n’est donc pas une façade ; je suis ça !

Mais je ne pense pas que cela soit très important. Ca n’est certainement pas le fond de votre interview, dans la mesure où vous n’êtes pas un journal de mode.

-C’est vrai, mais quand même, lorsqu’on adopte un look aussi typé, ne risque-t-on pas de ne plus vendre qu’un emballage, au lieu du produit que celui-ci renferme ?

-Si l’on parle d’emballage, Bulles, mon avant-dernier album a fait double platine ; c’est-à-dire qu’on en a vendu plus de 800.000 exemplaires, alors que je n’étais même pas sur la pochette. A ce point-là, il est évident qu’on ne vend pas un emballage ; mais définitivement le cadeau qu’il y a dedans. Cela mis à part, les chiffres de vente ne veulent pas toujours dire grand-chose. Vous pouvez très bien faire quelque chose d’extraordinaire et que cela ne se vende que moyennement. Par exemple, tout le monde me parle toujours du « Bal des Laze ». C’est une chanson qui a beaucoup frappé le public, et que l’on me réclame régulièrement ; et pourtant, c’est ma plus mauvaise vente de ma carrière ! Pourquoi ? On ne sait pas, c’est un mystère.

-En admettant que le look ne soit pas un emballage, il n’en reste pas moins vrai que vous avez fabriqué de toutes pièces une image assez sophistiquée, qui rompait brutalement avec celle du beatnik à guitare de vos débuts ?

-Non, je ne suis pas d’accord. Chaque mode s’accompagne d’un look, d’une panoplie ; et il n’y a là rien de naturel. Les hippies de 68 étaient tout aussi fabriqués que les branchés d’aujourd’hui.

Je me souviens que pour mon premier trente-trois tours, nous avions fait une photo avec une guitare sur laquelle était marqué « Say it ! ». J’étais devant un mur plein de graffitis avec, entre autres, le symbole de la paix. Donc, vous voyez, il y avait déjà une recherche. Ce qui peut faire dire que j’étais naturel, c’est que ça, c’était moi à cette époque-là. De même qu’aujourd’hui je suis tout aussi naturel, puisque tel que vous me voyez, je suis vraiment moi. Et même beaucoup plus moi qu’à l’époque beatnik où, ne portant pas de lunettes, je tombais sur scène parce que je n’y voyais rien du tout !

-Êtes-vous conscient du fait qu’il y a toujours autour de vous un mythe ? Celui du « Polnareff grand musicien ». Quand je dis « mythe », cela ne veut pas dire, bien sûr, que je le récuse…

- Il y a toujours un truc qui m’a dérangé, c’est le fait de vouloir mettre tout le monde dans les tiroirs. Je me considère comme un tout. C’est-à-dire comme un musicien, bien sûr ; mais aussi comme quelqu’un qui chante des choses auxquelles il croit, et qui est capable de donner sur scène un spectacle visuel qui fait que les gens ne se disent pas : « pourquoi suis-je allé le voir ? ». Si les gens voulaient ne voir qu’un musicien, il y a, à mon avis, des spectacles à Pleyel ou à Gaveau, qui méritent davantage le déplacement…

- Il y a un autre personnage de la chanson française, à qui on a collé la même étiquette, c’est gainsbourg.

- Je suis étonné qu’on dise « Gainsbourg : grand musicien ». Non pas que je le considère comme un musicien médiocre ; mais j’avais l’impression que son impact venait plus de ses textes…

-« Gainsbarre « , le provocateur, ne trouve grâce aux yeux de certains qu’en raison du talent du musicien. Et vous-même, justement, aviez à une certaine époque une image de provocateur…

- A cette époque, j’avais envie de réveiller les gens qui dormaient. Mais en fait, ce n’est pas moi qui les provoquais : c’étaient eux qui se sentaient provoqués. Ca n’est quand même pas la même chose et, d’ailleurs, il est certain que si je ressortais aujourd’hui l’affiche avec mon cul, cela laisserait tout le monde impassible. Parce que les gens ont changé ; ils ne se sentent plus provoqués par les mêmes choses. Donc, à mon avis, il ne faut pas trop s’occuper du provocateur mais plutôt des gens provoqués.

Maintenant, le public a tellement évolué qu’il est prêt à tout. C’est donc maintenant qu’il faut l’étonner. Je pense que, lorsque j’ai commencé, j’avais réellement vingt ans d’avance. Peut-être n’en ai-je plus que dix, à présent que le public a fait tant de progrès ? Il est enfin prêt à tout recevoir et plus rien ne peut l’étonner, si ce n’est une énorme qualité. Et puis, je n’ai pas envie de provoquer pour provoquer, ou pour faire un effet. Par contre, si demain je trouvais un nouveau cheval de bataille, je n’hésiterais pas une seconde ; bien que cela ne soit pas ce que je recherche en ce moment. En fait, ce qui m’intéresse, c’est de faire des disques de grande qualité.

-Vous parliez de cheval de bataille ; mais quel était celui qui inspirait une affiche comme celle où vous montriez vos fesses ?

- C’était de faire remuer les choses pour mon spectacle à l’Olympia, pour lequel la publicité était mal faite. On ne parlait pas assez de moi. Ce n’était donc qu’une opération publicitaire pure et simple. Mais, en même temps, c’était une grande blague des quat’zarts. Je ne m’attendais pas du tout à ce que cela prenne de telles proportions…

- Pour en revenir au Polnareff musicien, quelle a été votre formation ?

- Je suis premier prix de solfège du Conservatoire de Paris. Mon père était lui-même un musicien et j’ai suivi des études de piano qui me destinaient à devenir pianiste classique. Mais je n’avais pas du tout envie d’être l’esclave d’œuvres déjà écrites ; même si c’étaient les œuvres de génies. J’avais envie d’être mon propre créateur.

-Si je ne m’abuse, votre père composait des chansons sous le nom de Léo Pol et l’un de ses plus grands succès fut « le Galérien »…

- C’est ça, oui.

- C’est donc, à la base, quelqu’un de favorable à la chanson…

- En fait, non. Comme j’étais très doué pour le piano, j’étais destiné au classique et tout le reste semblait trop peu sérieux, trop peu important, aux yeux de ma famille. Mes goûts me portant vers des choses beaucoup plus modernes, la rupture était donc inévitable.

- Est-ce pour mieux marquer cette rupture que, sur vos premiers disques et vos premiers passages publics, vous adoptez la guitare ?

- Oui, car lorsque je suis parti de chez moi, en claquant la porte, j’ai acheté un truc qui devait s’appeler Comment apprendre la guitare en dix leçons. Puis j’ai réussi à avoir une guitare et j’ai appris trois accords : mi, la et ré. Et c’est devenu « La poupée qui fait non ».

- Les chansons de cette première période, comme « Love me, please love me », « Dans la maison vide » ou « Tous les bateaux, tous les oiseaux » restent dans une forme plutôt traditionnelle de la chanson française, avec des textes assez littéraires. Maintenant, on a l’impression que la recherche musicale a pris le pas sur le texte et que celui-ci n’est plus que secondaire ?

- Ca a toujours été comme ça. « Dans la maison vide », que vous venez de citer, est un pur exemple de recherche musicale. Ne serait-ce que dans l’intro qui nous fait entendre l’orchestre en train de s’accorder : cela a été enregistré à son insu ; ça n’est donc pas un trucage. A l’inverse, mon dernier disque est l’aboutissement d’un long travail sur le son et la musique ; mais il comporte des textes importants, que j’ai d ‘ailleurs fait mettre sur la pochette intérieure. Depuis toujours, je veux que les paroles aient un sens ; mais aussi un son. C’est un problème très important pour moi, car cela peut avoir un son superbe et ne rien vouloir dire, ou inversement. Les paroles demandent donc beaucoup de travail, car elles doivent à la fois être là et s’effacer.

- S’effacer ?

- Oui, car même les bonnes paroles n’ont, finalement, qu’un intérêt relatif. C’est ce qui explique d’ailleurs le succès de la chanson anglo-américaine, dont personne ne comprend le sens. Une bonne chanson doit pouvoir tenir le coup, même si on la subit comme ça. De toutes façons, dès qu’on chante, les paroles, quelles qu’elles soient, deviennent une musique sur la musique.

Ca n’est peut-être pas la façon de voir de tout le monde ; mais c’est la mienne, depuis ma première chanson.

- Mais quand vous travaillez avec un parolier comme Dabadie, qui attache de l’importance à ce qu’il écrit, comment cela se passe-t-il ?

- Je prétends que Dabadie a progressé de manière extraordinaire, lorsqu’il a travaillé avec moi ; parce qu’il a dû refaire vingt ou trente fois certains de ses textes, à cause du son des mots. C’est comme j’adore les mélodies de Brassens. C’est un très grand mélodiste qui, à mon avis, n’est pas reconnu comme tel. Ainsi que Brel… Faites jouer « Ne me quitte pas »par un grand orchestre, vous verrez que c’est une merveille.

- Les paroles ne sont pas mal, non plus…

- Bien sûr, c’est évident ; mais je refuse de ne considérer Brel que comme un grand auteur. D’ailleurs, le contraire n’est pas juste non plus, et je pense avoir écrit quelques textes importants, alors qu’on m’a toujours mis dans le tiroir compositeur.

- Quels sont ceux de vos textes que vous considérez comme importants ?

- « L’amour avec toi », par exemple. Si vous prenez le texte en lui-même, ce n’est peut-être pas une grande œuvre littéraire ; mais il a provoqué quelque chose d’énorme à l’époque. Il a cassé des tabous dont on ne se rend peut-être plus compte aujourd’hui. « Je suis un homme » est également un texte important.

- C’est vrai que, d’une certaine manière, vous avez été l’un des porte-parole de votre génération…Quel est, à présent, votre rapport avec le monde ?

- A l’époque, le « je » que j’employais était moi ; maintenant, ce « je » est plus général. Il peut s’appliquer à d’autres. Mes rapports avec le monde ont changé, en ce sens que j’étais beaucoup trop dans une tour d’ivoire. Je vivais le star-système, non seulement à la scène, mais aussi dans ma propre vie, ce qui est très dangereux. Et des chansons comme « Je suis un homme » me formaient un carcan autobiographique constant. J’allais finir par être acculé au miroir, avec ma tête dans le miroir, et aucune possibilité d’en sortir.

Maintenant, je suis beaucoup plus à l’écoute de ce qui se passe autour de moi. A l’écoute du monde et des problèmes des gens. Le « je » que je mets dans mes chansons peut donc être leur « je » à eux.

- Maintenant que vous avez réussi à vous - je vous cite - « reconstruire mentalement et physiquement », vous voulez replonge dans le bain. Vous êtes de passage à Paris pour essayer de trouver une grande salle - on parle de l’Olympia, mais aussi du Zénith et de Bercy ! - et monter une nouvelle formation. Pourquoi cette envie de retour sur scène ?

_ Parce que j’en ai envie. C’est tout bête ! J’ai envie de remonter sur scène et je sens également une envie du côté du public. Je vois ça dans le courrier que je reçois…

Et puis, une absence c’est très bien, jusqu’au jour où ça se transforme en oubli. Il arrive donc un jour où vous êtes devant un choix : « ou je décide de m’arrêter, ou il va falloir que je repasse mon examen ; » Là, il ne faut pas se leurrer, je vais repasser l’examen. Ce n’est un secret pour personne. En tout cas, pas pour moi. C’est là qu’on va voir si on continue ou si on s’arrête…Je parle au point de vue scène, bien sûr. Or maintenant que je reviens beaucoup plus souvent en France, cela ne serait pas plausible de continuer à ne faire que du disque.

Mais la France est un pays qui se prête mal au travail. On a beau me dire que les choses ont évolué. Je suis un tel perfectionniste, que je sais d’avance que tout cela va me rendre dingue. Il y a un manque de professionnalisme absolument intolérable. Et malheureusement, je ne peux pas tout faire. Il est très difficile, surtout pour quelqu’un qui n’habite pas dans ce pays, de constituer une équipe qui tienne debout. Comme je n’ai pas l’intention de le faire avec d’autres gens que des Français, cela me pose d’énormes problèmes et me donne des soucis. Moi, je peux défendre ma cause avec mon corps, mes bras, mon cœur, ma tête ; mais il y a des choses que je ne contrôle pas, ce qui fait que je m’inquiète déjà.

- Comment ressentez-vous la crise actuelle du métier, vous qui géographiquement pouvez prendre une certaine distance ?

- Je pense que c’est surtout une question de maisons de disques qui ne font pas bien leur métier. Elles ne servent plus, la plupart du temps, que d’organismes de distribution, et même, souvent, ce travail-là n’est pas bien fait. En fait, depuis que les artistes savent lire un contrat et s’entourent de conseillers fiscaux, les maisons de disques ont vu leurs marges bénéficiaires se réduire considérablement. Maintenant ce ne sont plus que des organisations paramilitaires qui chient dans leurs frocs en permanence et sont incapables de prendre le moindre risque.

Cela dit, n ‘étant pas là, je n’ai guère de rapports avec les gens du métier, et j’ignore un peu ce qui se passe ici ; mais lorsque je suis de passage, comme aujourd’hui, j’écoute la radio. Je trouve que le son a beaucoup évolué et que d’énormes progrès ont été faits. D’ailleurs cela m’amuse de dire - en toute humilité ! - qu’avant de partir j’étais le seul et que, maintenant, je suis seulement le meilleur… 

Propos recueillis par Marc ROBINE.