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ABI:...Et voici l’excellentissime article né sous la plume de Philippe BARBOT. ( Je gage que l’AMIRAL en aura également apprécié la qualité…) ( Prière de savourer les mots d’esprit !!!)

BACKSTAGE ( fin 89 ?? )

Près de 25 ans après Love Me, Please Love Me, il chante le Kama-Sutra.

Beatnik, yéyé, star hexagonale excentrique, roi des fourmis, Michel Polnareff a tout connu : les années de bohème, la gloire, l’exil, la traversée du désert. Il revient aujourd’hui, intact ou presque.

La première et unique fois que j’ai rencontré Michel Polnareff, un après-midi de l’été 1985, une espèce de volatile couleur charbon, affublé d’un bec dangereusement effilé, ponctuait chacune de ses phrases en glapissant d’une horrible voix nasillarde : « Micheeeel ! Micheeeeel ! ». L’attachée de presse, empressée, m’a expliqué qu’il s’agissait d’un mainate, un genre de perroquet qui a fait des études, et qu’il était devenu l’inséparable compagnon de l’artiste.

Sur le coup ça ne m’a pas étonné. C’était un peu comme ça que j’imaginais le créateur de la PIPELETTE : un drôle d’oiseau plutôt doué, mais un tantinet radoteur. Après tout, n’a-t-il pas lui-même déclaré tout faraud : « A mes débuts j’avais vingt d’avance, je faisais figure de novateur, parce que personne ne connaissait la musique américaine. En réalité, je n’étais qu’un copieur. Aujourd’hui, je conserve encore dix bonnes longueurs d’avance sur tout le monde… »

L’une des grandes qualités de Michel Polnareff, quoi qu’ils en pensent, lui et son fichu mainate, c’est d’avoir été la seule vraie star hexagonale réellement excentrique ( Gainsbourg mis à part, c’est un intello). Je veux dire, pas seulement en représentation, comme un vulgaire Hector, mais jusque dans l’intimité de sa salle de bains.

Imaginez ce type au physique de Françoise Sagan attifée comme un Rolling Stone au saut du lit, en train de faire pétarader sa moto dans les couloirs de son hôtel particulier de Neuilly, ne donne qu’une vague idée du décalage que représentait le personnage de Polnareff dans la chanson française du début des années 70.

Un mélange de dandysme narquois et de gaminerie candide. Prenez la fameuse affiche de l’Olympia 72. Montrer son cul à tous les passants, comme dans la rengaine pour cour de récré, était, après tout, à la portée du premier bizuth frondeur ayant réussi à tromper la vigilance des ouvreuses d’O’ Calcutta.

Mais poser suavement en chapeau à cerises et nuisette de dentelle, voilà qui témoignait d’un esprit de provocation hautement sophistiqué.

Pourtant, seul le popotin de Popol fit du potin : l’outrageux fut condamné, réprimande bêtement scolaire, à payer six mille amendes de dix francs, ce qui lui coûta la peau…des fesses.

Dix ans avant la chute des reins de Myriam -J’enlève le bas…

Musicalement, même problème. Même mixture déconcertante de virtuosité matoise et de crudité un peu plate. L’AMOUR AVEC TOI (en anglais Let’s spend the night together, Voulez-vous coucher avec moâ, etc…) au texte aussi érotique qu’une émission philatélique de Jacqueline Caurat, ne choqua, par devoir, que le digne Wladimir d’Ormesson, président du conseil d’administration de l’ORTF. Et encore : la diffusion de l’œuvre torride ne fut prudemment déconseillée qu’avant dix heures du soir.

Pendant toute sa carrière, c’est comme si Polnareff, le bon élève dissipé, avait joué au gendarme et au voleur. Beatnik de bonne famille en rupture de Conservatoire, il se fait régulièrement ramasser sur les marches du Sacré-Cœur par les pandores du dix-huitième arrondissement. Jeune maestro timide aux arpèges arrogants, il se fait préférer la mièvre Jacqueline Dulac par le jury de la Rose d’Or d’Antibes, pour se voir octroyer un lot de consolation, le prix de la critique. Idole déchue pourchassée par le fisc, il ne doit son salut provisoire qu’à un billet-cadeau pour New-York, à bord du paquebot France…

Tête basse et verbe haut, il y a dans le personnage public de Polnareff ce mélange d’humilité et de vantardise, de mauvaise conscience et de superbe, du moutard qui ne peut s’empêcher de dérober les confitures tout en sachant avec une terreur secrètement ravie qu’il se fera taper sur les doigts. C’est la règle du jeu. Et Polnareff, tout maso et mégalo qu’il soit, est avant tout un artiste ludique.

Sous quelle étoile est-il donc né ? Musicale, assurément. Son père, compositeur d’origine russe, a écrit sous le pseudonyme de Léo Pol quelques succès comme LE GALERIEN OU UN JEUNE HOMME CHANTAIT pour Piaf. A trois ans, - il est né le 4 juillet 44 à Nérac, Lot-et-Garonne- le p’tit Michel suit déjà les traces paternelles : sa première chanson, tapotée sur le piano familial, s’intitule, en toute simplicité : MICHEL…

Premier prix de conservatoire à douze ans, il fait partie de la chorale des Oratoriens, au collège de Juilly. Notre Mozart appliqué connaît par cœur tous les pièges chromatiques de la MARCHE TURQUE à l’âge où d’autres rivalisent encore dans le lancer de billes. Bref, voilà un petit prodige bien sous tous rapports.

Même si sa période militaire reste historiquement confuse : certains prétendent qu’il fut le bruyant détenteur de la grosse caisse du régiment de Montluçon, d’autres qu’il fut réformé pour myopie. Ce qui ne l’empêchera pas, à dix-huit ans, de s’essayer à la vente à domicile de cartes postales au profit des aveugles, entre autres petits boulots éclectiques et enrichissants. Au directeur de la banque qui lui tendait vingt francs, avance sur salaire, pour aller se faire couper les cheveux, notre hirsute histrion flanqua illico sa démission.

Là commence l’histoire qui a ravi des cohortes de lecteurs de Salut Les Copains. En 1964, donc, on peut croiser Michel Polnareff en héron efflanqué dans un shetland ras du nombril, sur les marches du Sacré-Cœur. Polna-riff gratte la guitare aux terrasses des cafés et dessine à la craie sur les trottoirs. Deux ans plus tard, son LOVE ME, PLEASE LOVE ME ( déjà, il veut qu’on l’aime), supplique pour chat perché et doigté vertigineux, fera le flop que l’on sait.

Mais sa POUPEE QUI FAIT NON , berceuse hardie entre les MARIONNETTES de Christophe et la POUPEE DE CIRE de France Gall, fera remarquer l’énergumène jusqu’au-delà des frontières : Scott McKenzie, le hippie yankee à moustache de VRP, en pondra une version sur son album SAN FRANCISCO. Pour le moment, l’Amérique qui fait rêver Joe Dassin, Polnareff s’en soucie comme de sa première Méthode Rose : « Dans la chanson moderne, il y a eu trois styles : Hallyday, Adamo et Antoine. J’essaie d’être le quatrième… »

Sur ses trois prédécesseurs ainsi cités, le Michel Maboul possède pourtant quelques avantages. Son passé de galérien de la gamme, qui lui donne une image de musicien sérieux dans le monde futile du yéyé primaire. Sa voix haut perchée, vibratile, capable de s’envoler comme une trompette débouchée (« Je suis fou-oû de vous-hou-hou… ») et de marivauder sans effort d’un octave à l’autre. La plupart de ses chansons, d’ ÂME CÂLINE en 67 à GOOD BYE MARYLOU en 89, jouent ainsi sur le même registre acrobatique. Quand les castrats du hit-parade s’égosillent, Polnareff, lui, plane dans des sphères inaccessibles.

Et puis le look. Versatile, changeant, mais toujours reconnaissable. Ca commence en casque d’or sur jeans côtelés, basquets dépenaillées et guitare douze cordes Eko. Ca continue en boucles brunes romantiques façon Pucelle d’Orléans, avec cols roulés frileux coin du feu, pyjamas pattes d’éph’ et bésicles opaques de plastique toc pour Elton jaune et malingre.

Une panoplie gonflée, avant la gonflette. A force de se faire traiter de pédé dans la rue, l’auteur de

TA-TA-TA-TA s’est pris d’affection pour les haltères. « Je suis un homme », pas comme ils disent, clame-t-il quelques mois avant de s’en aller soulever de la fonte dans son exil californien. Le Polnareff nouveau est né, jogging criard et débardeur Springsteen pour brushing platine à la Jane Fonda. Tâtez, c’est du muscle.

Avant d’en arriver là, l’oiseau de nuit s’est cruellement brûlé les ailes. Son premier véritable Olympia, en 1970, coincé entre un funambule, un cow-boy de music-hall et…Sim (sic), a recueilli de bonnes critiques. D’autant que le trouvère hippie a gagné ses galons de compositeur en vue en écrivant les musiques du RABELAIS de Jean-Louis Barrault au théâtre, puis, au cinéma de LA FOLIE DES GRANDEURS de Gérard Oury et de CA N’ARRIVE QU’AUX AUTRES de Nadine Trintignant.

« Je n’ai pas vu un gars comme toi dans le métier depuis dix ans », s’enthousiasme Charles Trenet pour l’auteur de QUI A TUE GRAND-MAMAN. Qui joue les dilettantes inattendus en accompagnant au piano (« Aqueu… ») son pote Hallyday, en 1971 au palais des Sports. L’année d’après, ça se gâte.

Après son cul d’éclat de l’affiche de POLNAREVOLUTION, son spectacle à l’Olympia, en octobre 72, Polo, un tantinet présomptueux, veut récidiver : remettre ça, cinq mois après, avec un show entièrement différent, baptisé, fallait le trouver, POLNARÊVE. Cette fois, point de fesses, mais le bide.

Accompagné des musiciens de Dynastie Crisis déguisés en astronautes, l’artiste désinvolte se pointe sur scène avec plus de deux heures de retard, reprend trois fois la même chanson, exaspère les critiques qui, la saison d’avant, l’avaient encensé.

Tout ira de mal en pis, jusqu’à ce jour du printemps 73 où notre héros sur le baudet devra s’embarquer en douce pour les Etats-Unis, à bord du paquebot dont il affirme honnir désormais le nom : la France, elle l’a bel et bien laissé tomber. Claquemuré dans sa cabine, sans un centime, buvant de l’eau…

C’est que si Polnareff est un chanteur sérieux, c’est un comptable bien fantaisiste. Son homme d’affaires et de « confiance », une sorte de monsieur Ramirez préposé aux factures, nommé Bernard Seneau, a tout simplement omis de déclarer, pour lui, ses revenus des années 71, 72, et 73. Mieux, il a disparu en laissant un trou de six millions de francs dans la caisse.

Le fisc se rebiffe, réclame deux cent briques. Et Polnareff la cigale découvre brusquement que seuls les bons contribuables iront au Paradis. Y’a qu’un ch’veu sur la tête à Mathieu et plus un sou dans la tirelire à Michou…

« Exil, moi ? Disons que j’ai simplement décidé de changer d’air pour pouvoir me défendre. Tant qu’on continuera à m’accuser d’être un fraudeur, je ne chanterai plus en français ! » Là encore, le fugitif aime jouer les bravaches. Pourtant, lui, Polnareff, la gloire trublionne de la France pompidolienne, inspire au show-biz américain à peu près autant d’intérêt qu’un musicien folklorique de l’Azerbaïdjan.

Le voilà obligé, comme un vulgaire rat de cave débutant, de poireauter dans les antichambres des majors yankees, ses maquettes sous le bras. Il finira par décrocher un contrat chez Atlantic, pour un « album américain » passé plutôt inaperçu, avant de se voir confier, en janvier 77, la musique de LIPSTICK, un film sorti en France sous le titre de VIOL ET CHÂTIMENT. Tout un symbole.

C’est l’époque où les gazettes franchouillardes, tout épatées, rapportent force reportages admiratifs sur la « nouvelle vie » du Polnareff made in U.S.A : soleil, piscine, culturisme, Mercedes, gardes du corps empruntés à Presley, cabane à Beverly Hills, tout le folklore cher aux fans de « Dallas » y est.

En 74, de retour d’une tournée « triomphale » au japon (demandez à Adamo et pierre Barouh), notre héros d’Amérique écrit sa biographie, en collaboration avec le journaliste Jean-michel Desjeunes. Dans POLNAREFLEXION, titre de l’ouvrage, entre deux diatribes vengeresses sur le show-biz français, on relève quelques bouleversants aveux, comme celui-ci : »Je chante à cause de Presley et j’aime comme Lucien Sorel… »

Tout beau et tout bronzé, notre émigré s’ennuie quand même de la France. Ses chansons envoyées de l’autre côté de l’Atlantique, comme LETTRE A FRANCE, COUCOU ME REVOILOU, LE CLOCHARD DES JUMBOS ou J’AI TELLEMENT DE CHOSES A DIRE, sonnent comme autant de suppliques pour ne pas être enterré trop vite sur les plages hexagonales.

En 75, il a même fait des travaux d’approche scénique à Bruxelles, sous le prétexte d’assouvir la frustration de ceux de ses fans compatriotes qui ne craignent pas les voyages en train. Une B.A récompensée, malgré une sono médiocre, par le coquet caché de cinq cent mille francs. Une somme dont le fisc, pas si vache, ne saisira pas la totalité : en octobre 78, un Polnareff piteux mais soulagé est condamné à cinq mille francs d’amende et six mois de prison avec sursis par la trente et unième chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Entre-temps, son manager margoulin a été reconnu coupable…par défaut.

« Je ne puis à la fois rêver, faire rêver et avoir les pieds sur terre », plaide une dernière fois l’auteur d’

UNE HISTOIRE LAMENTABLE. Polnareff est pardonné. Du coup, lui aussi pardonne.

« Si je rencontrais Dieu au coin d’une rue, je lui foutrais immédiatement mon poing sur la gueule : il a laissé commettre trop d’atrocités ; » ( in Le MATIN DE Paris, octobre 78). Hello, donc, le revoilou. L’album BULLES, en 81, devient double platine grâce à deux titres aux vocalises accrocheuses, dans la veine du Polnareff d’antan, RADIO et TAM TAM. Notre pigeonné voyageur fait désormais la navette entre Paris et Los Angeles.

Il s’est découvert une dévorante passion pour le dernier cri de la technologie musicale : synthés, computers, sequencers font partie de l’univers sonore du Polnareff novo. EN 85, L’album INCOGNITO manque de peu de prendre son titre à la lettre, malgré le titre DANS LA RUE, entrechat réussi. Le mini-tube VIENS TE FAIRE CHAHUTER fait même l’objet d’un clip spectaculaire, réalisé par Jeff Stein, où notre jogger échevelé batifole sur un plumard mobile en compagnie de pulpeuses playmates. « Ca a coûté le prix d’une jolie maison », concède modestement Michel qui, au cours d’un jeu de la Vérité animé par Patrick Sabatier, déclare tout de go : « Aucun artiste français n’est connu aux Etats-Unis, à part le mime Marceau qui se tait et le commandant Cousteau qui plonge. » Réaction de Cerrone, furibard : « Et moi, alors ? »

Cette fois, notre fils prodigue, aimerait bien fêter son retour sur une scène parisienne. Mais le voilà qui fait la fine bouche devant les salles qu’on lui propose. Le Zénith ? Commun…Bercy ? Trop petit… Auteuil, le Parc des princes ? Pas libre… Pour voir Polnareff sur scène, faudra-t-il attendre qu’on ait équipé de gradins le Bois de Vincennes ?

89, année érotique. Vingt ans après LA MICHETONNEUSE, la nouvelle héroïne de Michel Polnareff joue les serveuses sur minitel rose. GOODBYE MARYLOU annonce un nouvel album plusieurs fois reporté, enfin prêt, produit par le britannique Ben Rogan, qui s’était déjà illustré avec Etienne Daho, KAMA-SUTRA. Quelque part, dans un relais et châteaux en bordure de l’autoroute de l’Ouest, un Polnareff mal rasé est sans doute en train de peaufiner son grand retour. Mais jusqu’à présent, même son satané mainate refuse de souffler le moindre mot.